Il faut que je termine ce projet

Si vous avez l’habitude de travailler ou passer du temps devant un écran, voici une situation dans laquelle vous vous êtes probablement déjà retrouvé.

Pierre est souvent sur son ordinateur jusque tard le soir, et quelque chose le pèse :

« La semaine dernière devant l’écran tard la nuit, je sentais que je n’étais pas aligné, j’étais fatigué, j’étais pas bien. J’avais besoin de lâcher mais quelque chose en moi était plus fort. Je me suis dit « Il faut que j’avance sur mon projet même si j’ai pas envie, sinon je n’arriverai pas à le finir. » Ça fait des années que je suis dessus et j’aimerai le terminerJe sentais un conflit intérieur mais c’est comme une addiction, c’est plus fort que moi, j’arrivais pas à lâcher. »

Pierre, dont le prénom a été changé pour cet article, souhaitait y voir clair sur ce conflit intérieur. Je l’ai accompagné lors d’une séance de Travail, le processus d’auto-questionnement de Byron Katie (rendez-vous sur cette page pour en savoir plus sur cette démarche). Le Travail nous aide à libérer le mental des pensées stressantes et à reconnecter avec la réalité, avec le présent. Avec son accord je partage ici les grandes lignes de notre échange.

Début de l’investigation

Je demande à Pierre de se replonger dans cette scène où il est devant son écran tard le soir, lorsqu’il ne se sent pas aligné et se dit qu’il n’arrive pas à lâcher. Je lui demande :

– Comment réagis-tu à ce moment-là lorsque tu te dis « Je n’arrive pas à lâcher » ?
– Je me sens en conflit. Ça me provoque un énervement intérieur. Et là je me dis « Ça y’est Pierre tu commences à t’énerver, donc il faut que tu prennes une décision, sinon tu n’arriveras pas à t’endormir correctement. » Je ne m’écoute pas, je sens un agacement. Je sens que ça me serre au niveau du ventre, quelque chose qui m’oppresse, qui n’est pas fluide. En fait au début ça provoque un léger mal-être, qui se transforme en agacement, qui se transforme en énervement !
– Dans la même situation, qui serais-tu sans la pensée « Je n’arrive pas à lâcher » ?
– C’est quitte ou double : soit je vais jusqu’au bout du travail que j’ai entamé. Soit j’arrête spontanément.
– Tu veux dire que sans la pensée tu ferais un choix ?
– Sans la pensée je ne serais pas dans ce mal-être. Je prendrais la décision d’arrêter sans me poser la question. Ou alors je prendrais la décision de continuer tout simplement.

Le processus de questionnement propose de retourner notre croyance initiale. Cela nous invite à nous ouvrir à d’autres perspectives en expérimentant le contraire de ce qu’on l’on croit. Pierre trouve le retournement « J’arrive à lâcher« . Je lui demande :

– Vois-tu un exemple ? En quoi ça peut être vrai que tu arrives à lâcher ?
– Tu veux dire que j’imagine que j’arrive à lâcher l’écran et je vois ce qui se passe ?
– Non, regarde simplement dans cette situation, assis devant l’écran ce soir-là, qu’est ce que tu arrives à lâcher ? Vois-tu un exemple ?
– Euh… J’ai du mal à trouver.

Je suggère alors à Pierre l’exemple suivant :
– Au moment où tu prends conscience que quelque chose te dérange dans cette situation, à ce moment-là tu as lâché l’écran. Tu es revenu en toi et tu as observé qu’il y avait un conflit. Tu as pris conscience de ton malaise.
Vois-tu d’autres exemples où tu réussis à lâcher l’écran ?
– Oui quand je me lève pour prendre du chocolat ! Quand je vais aux toilettes aussi je lâche l’écran même si parfois j’attends au dernier moment.
– Quel est le contraire de lâcher pour toi ?
– Accrocher
– Voici un autre retournement : « Je n’arrive pas à accrocher« . En quoi est-ce vrai dans cette situation ?
– Et bien je n’arrive pas à focaliser mon esprit sur ce que je suis en train de faire. Je n’arrive pas à rester concentré sur mon travail. En plus je pense à aller dormir. Ou alors je me dis « Allez un petit porno, comme ça ça va te couper de ton intellect, car c’est hyper fatiguant. » C’est une aide pour arrêter l’écran, ça me fait une coupure. C’est con mais c’est ça en fait !

Je ne m’écoute pas

Pierre pense qu’il ne s’écoute pas dans cette situation. Lorsqu’il croit cette pensée « Je ne m’écoute pas« , il ressent à nouveau un énervement et un conflit intérieur. Je lui demande :
– Comment te traites-tu quand tu crois cela ?
– Je me dis que je ne suis pas raisonnable, que je suis têtu. Je me juge. Comme si j’attendais que quelqu’un me fasse la morale.
– Qui serais-tu sans cette pensée ?
– Libéréééé, délivréééé ! (rire) Mais… si je n’ai pas cette pensée là, je ressentirai un malaise quand même !
– Veux-tu dire que sans cette pensée, tu resterais avec ce que tu ressens ? Serais-tu plus présent à ce que tu ressens ?
– Oui. Car du coup je focaliserais sur le fait que je ne me sens pas bien. Je peux mettre des mots sur mon malaise et ça m’aide à accepter la situation.
– Retourne cette pensée.
– Je m’écoute.
– En quoi ça pourrait être vrai ?
– Je m’écoute car parfois je me lève et je vais faire quelques exercices physiques, ou je vais aux toilettes, ou me mettre en pyjama. Je m’écoute dans le fait d’engager la démarche pour aller me coucher. D’ailleurs à un moment je regarde l’heure et je me mets un timing.
– Donc tu écoutes cette partie de toi qui a besoin de se donner un timing ?
– Oui car si j’arrête avant, j’ai peur de ne pas pouvoir reprendre où j’en étais et devoir reprendre depuis le début.
– Tu écoutes donc cette partie de toi qui veut continuer encore jusqu’à une certaine heure.
– Oui.

Pierre me dit qu’il s’est forcé à poursuivre jusque très tard car :

– Si je termine le soir-même, j’ai l’impression d’avoir bien travaillé et accompli mon objectif. D’avoir bien optimisé mon temps.
– Est-ce vrai ?
– (sans hésiter) Non parce que comme je l’ai fait en n’étant pas bien, je n’ai pas été inspiré, je n’ai pas bien rédigé mes phrases. Et le lendemain, parce que je n’aurai pas eu confiance en moi la veille, je relirai ce que j’ai écrit et c’est possible que je change des choses. Mais, j’ai peur de perdre le fil si je m’arrête sans aller au bout de ce que j’ai commencé. J’ai peur d’oublier le lendemain.
– Si tu arrêtes en cours tu vas oublier le lendemain, est-ce vrai ?
– Non.
– Qui serais-tu sans la pensée « Je vais oublier le lendemain » ?
– Je ne me poserais pas la question de savoir si je vais oublier. Je penserais plutôt à m’écrire un petit pense-bête.
– Retourne la pensée.
– Je ne vais pas oublier le lendemain.
– Vois-tu un exemple où c’est vrai ?
– Oui c’est vrai aussi car une idée ça ne s’oublie pas comme ça quand même. Je peux m’écrire des petites notes pour reprendre le fil plus tard. D’ailleurs maintenant je commence à le faire. Et puis parfois je vais faire en 5 min le lendemain ce que j’aurai mis 30 min à faire le soir-même. Parce que je serai plus en forme.

Il faut que je termine mon projet

Pour clarifier ses pensées, Pierre les a couchées sur papier en remplissant une feuille de Travail. Il lit :

– Il faut que je termine mon projet.
– Est-ce vrai ?
– Oui
– Peux-tu être absolument certain que c’est ce que tu dois faire ?
– Oui. Pas ce soir-là forcément, mais oui.
– Si tu ne termines pas ce projet, qu’est ce qui se passe ?
– Une impression d’inachevé. Une impression d’avoir perdu du temps et d’en avoir passé beaucoup devant l’ordinateur pour rien. Mon projet mérite d’être partagé, il faut que je le termine. Mais là j’ai besoin de me fixer une limite dans le temps. Çà fait quand même 4 ans que je suis dessus !
– Comment tu te sens avec la pensée « Il faut que je termine mon projet », c’est plutôt paisible ou stressant ?
– Dans cette situation c’est stressant.
– Sans la pensée, qu’est ce qui change ?
– Je serais de nouveau confronté aux ressentis du moment présent, sans pour autant penser au projet. Je verrai que le projet c’est le résultat final et que pour aujourd’hui, j’en ai marre il faut que j’arrête.

Je propose à Pierre de se projeter :
– Que crains-tu, que se passe t-il si tu ne termines pas ce projet ?
– Mon travail serait inachevé. J’aurai fait quelque chose d’inaccompli.
– « Si je ne termine pas mon projet, j’aurais fait quelque chose d’inaccompli. » Retourne cette pensée.
– Si je termine mon projet, j’aurai fait quelque chose d’inaccompli. Ahahah c’est con !
– Vois-tu un exemple en quoi ça pourrait être vrai ?
– … Oui parce que pendant tout ce temps je n’aurai pas fait l’accomplissement de moi, dans le sens de faire du sport, de rencontrer des gens. Je n’aurai pas tissé beaucoup de liens sociaux. La dernière fois c’était bizarre, j’ai même appris qu’il y a des gens qui se rassemblent dans des endroits spéciaux appelés bars, avec des boissons ! (rire)
– Vois-tu un autre retournement ?
– Si je ne termine pas mon projet, j’aurai fait quelque chose d’accompli. Oui quand même. Ça m’aura permis de mettre en valeur par écrit mes recherches, même si je ne termine pas. Personnellement ça m’aura permis de comprendre beaucoup des choses. Et ça m’a suffisamment enrichi pour vouloir maintenant aller plus loin, passer un nouveau step. Et ce que j’ai déjà accompli aidera déjà largement ceux qui s’intéresseront à mon travail.

Je passe trop de temps sur Facebook

Dans cette situation ce soir-là, Pierre se reproche de passer trop de temps sur Facebook plutôt que sur son projet. Il s’en veut d’être addict à rester longtemps sur Facebook plutôt que de rester productif sur son projet. Voici ce qu’il écrit :

– Je devrais me focaliser uniquement sur mon projet et ne pas surfer sur Facebook.
– Tu devrais te focaliser uniquement sur ton projet, est-ce vrai ?
– Non… Je ne devrais pas me focaliser uniquement sur mon projet. Car j’ai besoin de me détendre. C’est pour ça que je vais sur Facebook. J’ai besoin aussi de me mettre de la musique en même temps. Aussi, je ne devrais pas me focaliser uniquement sur mon projet car j’ai besoin de faire du sport, de prendre soin de moi. Mon corps réagit, je sais qu’il me fait signe. Et je devrais aller me coucher. Je devrais me mettre au travail uniquement quand j’en ressens le besoin, car je suis plus productif dans ces moments là. Çà c’est important. Quand je me force à faire quelque chose, c’est comme si je ne faisais rien car je vais très lentement.
– Qu’as tu écrit ensuite ?
– J’ai besoin de prendre du temps pour moi.
– Peux-tu être absolument certain que c’est ce dont tu as besoin à ce moment-là devant ton écran ?
– Oui.
– Comment réagis tu quand tu te dis ça et que tu es devant l’écran.
– Il y a une voix qui me dit franchement que je dois prendre du temps pour moi. Cette pensée s’entrechoque avec celle qui dit que je dois continuer mon projet. En fait c’est un peu un cercle vicieux tout ça… Je prends conscience du besoin et c’est comme s’il y avait l’autre, le côté obscure qui me domine, qui me force à rester. Je suis addict.

– Retourne la pensée
– Je n’ai pas besoin de prendre du temps pour moi… Oh là là !
– Dans l’instant là, à cette heure là devant l’écran, tu n’as pas besoin de prendre du temps pour toi. Tu as besoin de décider : soit de continuer, soit d’éteindre l’ordinateur.
– Oui, c’est ça.
– Vois-tu un autre retournement ?
– J’ai besoin de m’oublier. Oui je ressens au fond de moi l’envie de bouger et je me force à rester, donc je m’oublie. A ce moment-là, j’ai besoin de m’oublier pour pouvoir continuer à travailler. D’oublier ma fatigue, ma santé, pour mon projet. 
– Qu’as-tu écris ensuite ?
– Je ne suis pas raisonnable.
– Retourne ce jugement.
– Je suis raisonnable. Oui parce que je sais trouver une limite à un moment donné.

Retour à la réalité

A la fin de sa feuille de Travail, Pierre a écrit : Je ne veux plus jamais dépenser autant d’énergie sur Internet à faire de telles recherches pour mon projet. Le retournement de cette pensée nous invite à rester disponible à la réalité, à ce qui est. Il consiste à la reformuler en commençant par « Je suis disposé à… ». Pierre lit :
– Je suis disposé à dépenser autant d’énergie sur Internet à faire de telles recherches pour mon projet. Oh là là !
– Il est possible que tu te retrouves dans la même situation, un soir tard.
– Ça c’est clair je sais que c’est possible. C’est possible que je dépense autant d’énergie sur un sujet similaire un jour.
– C’est un temps ou tu auras écouté ce désir de t’intéresser à ça. Retourne maintenant la phrase avec « Je me réjouis de… »

– Je me réjouis de dépenser autant d’énergie sur Internet à faire de telles recherches pour mon projet. (il sourit) Ça me rappelle des bons souvenirs. Car je ressens du plaisir à fouiner et trouver sur Internet l’info que je recherche. En plus, plus j’avance sur mon projet, plus je vois que ça prend forme et je suis content quand même. Je me dis C’est bon ça !
– Tu prends donc plaisir à faire ce travail, jusqu’au moment où tu as l’impression de ne plus avoir d’énergie, où ton attention te ramène à toi car tu te rends compte qu’il y a un autre besoin « Je suis fatigué« . Et quand tu vois ce besoin au présent, tu peux revenir et dire « Qu’est ce que je décide de faire maintenant ?« .

– En fait je me dis que ça fait longtemps que je veux faire l’expérience de m’écouter vraiment. D’arrêter l’ordinateur quand ça arrive. Car quand je vois l’état de fatigue dans lequel ça me met…
Maintenant, je réalise que cette chose qui semble supérieure à ma volonté, je peux prendre le dessus pendant 5 secondes et hop j’éteins mon écran et c’est fermé !
Et puis, mon mental est peut-être addict à Facebook, mais pas moi, pas mon corps. Car si c’était tout mon corps qui était addict je ne serais pas en conflit. Donc mon addiction à Facebook ne m’empêchera pas de quitter l’écran quand j’en ressentirai le besoin. Je sais que c’est possible. Oui je peux remettre au lendemain ce que je ne peux pas faire sur le moment.

Quelques semaines plus tard, Pierre m’a partagé qu’il n’avait pas revécu un tel conflit intérieur devant son ordinateur et qu’il réagissait plus rapidement dès que la fatigue se présentait.

Sur ce, il est tard pour moi et je suis très fatigué devant mon écran. Alors je termine cet article en vous souhaitant une bonne nuit !

Partager :

Facebook
Twitter
Pinterest
LinkedIn

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Autres publications
Retour en haut